Dans une récente émission diffusée sur
France-Musiques et consacrée à Victor Hugo ("Tout un programme" du 4
janvier 2002), Anne-Charlotte Rémond ouvrait son parcours musical en lisant un
extrait du Journal tenu par Clara
Schumann :
J’ai beaucoup lu et, pour la première fois, une œuvre de Victor Hugo, Notre Dame, œuvre qui m’inspire de la répulsion, à la réflexion. Elle fourmille
de digressions, de vulgarités, d’incohérences, d’invraisemblances. Dans tout
cela, pas un seul caractère noble. Tout est de la plus folle extravagance avec
une brutalité qui vous secoue. Sans doute est-ce écrit ‘avec esprit’ [en
français dans le texte]. Ce genre d’œuvre
s’adresse surtout aux Français car ils se délectent surtout de l’horrible et du
grotesque. Pour une saine nature allemande, c’est une horreur qu’une œuvre
semblable. Robert l’a lue également et elle ne lui a pas plu davantage.
Elle évoquait encore une lettre de
Mendelssohn à sa mère à propos de son ouverture pour Ruy Blas, pièce qu’il jugeait "infâme" et
"au-dessous de toute dignité".
Victor Hugo, quant à lui aura un jugement
sévère sur ladite ouverture qualifiée de "charivari" dans un Carnet
de 1864. Il disait par ailleurs :
Il y a musique allemande et musique allemande .
[…] Les connaisseurs
ne confondent pas la musique de Beethoven, cette nuit étoilée pleine d’un
monde, avec la musique de Mendelssohn, ce brouillard couvrant le néant.
En déduirons-nous pour autant que tous les
compositeurs romantiques exécraient la prose et les vers de Victor Hugo ?
Quant à notre poète, son jugement sur Mendelssohn - émis, semble-t-il, à
l’issue d’une piètre exécution en plein air - nous autorise-t-il a voir en lui
l’ennemi de toute musique ? Il semble d’ailleurs que, dans la citation que
nous reproduisons, Beethoven trouve grâce à ses yeux, ce qui permet de douter
de la formule que tout le monde a déjà entendue et que d’aucuns proclament
encore pour authentiquement hugolienne : "défense de déposer de la
musique au pied de mes vers" !
En 1985, à l’occasion du centenaire de
la mort de Victor Hugo, et ce en dépit d’études antérieures assez décisives
[1], on pouvait encore lire dans un
mensuel destiné aux lycéens : "Hugo chantait complètement faux. Il n'allait
quasiment jamais au concert. Le piano, même celui d'Adèle, l'horripilait.
Il refusait qu'on mît ses vers en musique et avait contre les musiciens cette
formule définitive: "Qu'ils crèvent" [2].
Au jour de la commémoration du
bicentenaire de la naissance de Hugo, il n’est pas sûr que les choses aient
radicalement changé, car les idées reçues ont la vie dure. Vouloir
"illustrer" musicalement Victor Hugo tiendrait-il encore de la
gageure ? France Culture a
tenu, en tout cas, à remettre tout récemment les points sur les "i",
en proposant une série de six émissions sur la question. On pourra retrouver,
en complément au parcours que je propose, et pendant tout le temps qu' l'émission restera en ligne, l’intégralité des propos échangés
entre Gérard Mannoni et ses invités (avec les illustrations musicales) à
l’adresse suivante :
http://www.radio-france.fr/chaines/france-culture/chemins_musique/fichehugo.php
Le présent cours - cours de sensibilisation, sans plus, tant le sujet est vaste - voudrait rappeler que, non seulement, Hugo était très réceptif à la musique de son temps mais encore qu'une "illustration" musicale, dont on verra les diverses formes, est relativement aisée et qu'elle permet d'alimenter une réflexion s'inscrivant dans le cadre des diverses "confrontations" et "comparaisons critiques" auxquelles j'ai décidé de me livrer, cette année encore, dans le cadre de mon CM optionnel intitulé "Passerelles".
I. Tocsin,
fanfare et bourdon
Tout
poème est musique : sons et rythmes. Qui voudrait faire une approche
"musicale" du poème y songerait. Il rappellerait l'éclat des
trompettes dans :
"La diane du matin fredonnant
sa fanfare",
ou l'évocation des vents frais de quelque nuit d'été
dans :
"Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala".
Mais prenons
garde toutefois aux fallacieux rapports du son et du sens. L’un et l’autre
sont en effet souvent abusivement associés même dans les ouvrages qui se posent
en modèle et destinés prioritairement aux élèves des classes de lycée et aux
étudiants. Jean Jaffré montre dans l'un de ses ouvrages [3] que les commentaires
des allitérations et des assonances d'un poème ont une fâcheuse tendance à
s'enfermer dans une recherche hasardeuse d'harmonie imitative ou suggestive
qui suppose un rapport immédiat entre le son et le sens, jusqu'au niveau des
phonèmes, au lieu de s'orienter vers les problèmes du rythme. La fréquence
de tel phonème dans un vers tend, en en ponctuant l'articulation, à créer
un rythme qui ne doit pas nous échapper. Dans la "musicalité" d'un
vers, c'est l'attaque consonantique qui est la composante rythmique alors
que l'assonance y tiendrait plutôt le rôle mélodique, d'où l'intérêt des tableaux
vocaliques. Mais revenons avec Jaffré aux allitérations et assonances et aux
commentaires qu'ils suscitent souvent. Certains prétendent : "fr"
c'est le frottement, le frôlement, le froissement, surtout si le mot contient
en outre la spirante dentale "s". Et de citer Hugo :
"Jusqu'au frémissement de la feuille froissée".
Pour Jaffré
- et comment ne pourrions-nous pas souscrire ? - ce raisonnement est aberrant
dans la mesure où il consiste à attribuer
comme qualité naturelle du son ("fr" c'est...", etc.), ce qui
revient en réalité au sens des mots, et à prendre comme principe général
ce qui n'est que la déduction d'une situation particulière (on pourra s'interroger
sur la valeur de "fr" dans "offrir", "frapper",
"effroi", "soufre" ou… "fromage" !). Les ouvrages
à usage scolaire sont truffés de ces aberrations. On se reportera, par exemple,
à un développement proposé par les auteurs du XIXe
siècle en littérature [4],
sur la valeur expressive des consonnes. On peut lire, p. 486, que "les
labiales, qui mettent en jeu les lèvres, disent la grimace du dégoût, la moue
ou la gourmandise" ; que "les nasales correspondent à la sensualité
olfactive" ! On ne saurait ainsi généraliser. Le fait que les mots "parfum",
"arôme", "embaumer", "encens", "ambre"
comportent tous des nasales ne saurait suffire. "Musique", "chanson",
"trompette" en comportent aussi ! Qu'en déduira-t-on ? Voyez encore
le Phèdre de Racine (Hatier, 1973).
On peut lire (p. 60) à propos du vers célèbrissime : "La fille de Minos
et de Pasiphaé" : "il faut [...] reconnaître l'effet très étudié
des sonorités = le "i" inquiétant soutenu par la menace sourde de
"f" ; le son "a" clair, impitoyable, féroce même dans
l'hiatus final avec le "é" court et sec..." [sic]. N’est-ce pas excessif ?
Il
n'empêche que les vers de Hugo sont bel et bien sonores. Péguy disait un jour
de l'auteur des Châtiments : "Il
savait son métier celui-là. Il savait faire un tocsin rien qu'avec des mots ;
une fanfare, avec des rimes ; un bourdon, rien qu'avec des rythmes..."
Victor Hugo aimait les mots, "jaillis de l'ombre", "êtres
vivants", pour eux-mêmes autant que pour leur pouvoir évocateur. Tel vers
chante encore, sans doute, dans les mémoires, créateur d'atmosphère :
"Monts d'Aragon, Galice, Estramadoure", et l'on connaît cet exemple
fameux où telle ville aux consonances exotiques exclut pourtant toute
localisation géographique et n'existe que parce que le poète l'a nommée, autant
pour le plaisir du son que pour les besoins de la rime ("j'ai rime à -dait
!") : "Tout sommeillait dans Ur et dans Jérimadeth."
[Accès
au poème dans sa version intégrale]
II. De Haydn à
Satie
Un jour
un homme osa s'assimiler au siècle qui naissait avec lui. Il se nommait Victor
Hugo. 1802-1885 : Hugo commence avec un siècle qui finit avec lui. Il en
connaît les doutes, les excès et les convulsions. Traversant empires, monarchies,
révolutions et républiques, subissant l'exil, il loue, condamne, s'engage, se
mêle aux tempêtes, quand il ne les fomente pas, au risque des scandales. Mais
il faut des scandales pour que l'Histoire avance...
Et
tandis que ce "royaliste voltairien" passe au libéralisme, s'enflamme
pour le duc d'Orléans et se rapproche de Louis-Philippe, s'inquiète de la
misère ouvrière et rejoint les rangs des républicains ; tandis que son poème,
après avoir revêtu des allures post-classiques, parcourt, illustre et promeut
chacun des aspects et des moments de la poésie romantique pour en réaliser le
rêve le plus grand, celui d'une épopée de l'humanité, les musiques naissent et
meurent elles aussi. Haydn enfante Beethoven et le romantisme se dépasse
lui-même dans la modernité.
[Accès
à un tableau chronologique et synoptique]
Quel
surprenant parcours musical l'on peut faire entre les deux dates ultimes de la
vie du poète. 1802 : la Sonate Au clair
de lune de Beethoven vient d’être composée. 1885, c’est l’année des Variations symphoniques de Franck. 1843 (mort de Léopoldine) : Le Vaisseau fantôme de Wagner... L'on
poursuivra à loisir la lecture du tableau. On remarquera notamment que Haydn,
qui, comme chacun sait, a fixé les lois de la symphonie classique, ne meurt
qu'en 1809 ; que Les Misérables
paraissent quand naît Claude Debussy ; qu'en 1885 Satie, véritable
"père" de la musique d'aujourd'hui, quoi qu'on dise, va sur ses vingt
ans et publiera bientôt, à la barbe des tenants de la Vérité musicale (!), sa
première pièce pour piano avec la mention provocatrice d’"opus 62" !
On a pu dire que mieux qu'épouser son siècle, Victor Hugo fut son siècle. Témoin des avatars de la musique en marche, il
semble pourtant se taire ou parle peu..., ne joue pas, en tout cas, le rôle
qu'on pouvait attendre (penser à Baudelaire). Pour certains c'est peut-être
assez pour lui mettre une étiquette.
[Proposition d’illustration : écoute d'un extrait
d'un quatuor de Haydn (Quatuor en Fa majeur op. 77/II H. III. 82, 2e
mouvement, Menuet. Presto - 1799) et
d'une sonate pour piano-forte (Sonate en Ré majeur Hob. XVI, Finale. Presto - 1794/95). Puis d'une pièce de Satie Valse-ballet "Op. 62" (première pièce publiée, 1887).
Immédiatement enchaînées pour faire valoir le contraste]
III. "Défense
de déposer de la musique au pied de mes vers !" [5]
Victor
Hugo a-t-il écrit cette boutade qu'on lui prête souvent ? L'a-t-il seulement
proférée ? Les choses sont plus claires pour Lamartine qui affirmait
détester que l'on mît ses vers en musique. Ce dernier reconnaissait toutefois
dans les commentaires de ses Méditations
:
On a essayé
mille fois d'ajouter la mélodie plaintive de la musique au gémissement de ces
strophes [il s'agit du "Lac"].
On a réussi une seule fois : Niedermeyer a fait de cette ode une touchante
traduction en notes. J'ai entendu chanter cette romance, et j'ai vu les larmes
qu'elle faisait répandre...
De l'avis
de Saint-Saëns, Niedermeyer est une sorte de précurseur. En écrivant "le
Lac", il "brise le moule de l'antique et fade romance française".
Or il se trouve que ce ne sont pas les seuls vers de Lamartine qu'il illustre
pour créer un "art supérieur, analogue au lied allemand" (Saint-Saëns),
mais aussi les plus beaux poèmes de Victor Hugo. Ce dernier sut-il louer le
musicien comme le fit Lamartine ? La question reste posée. [6]
Comme
autres compositeurs censés avoir désobéi au grand homme, on retiendra principalement
Camille Saint-Saëns et Franz Liszt [7].
Ce dernier, on le sait, aura l'occasion de fréquenter à la fois Lamartine
et Hugo lors de séjours parisiens, entre 1827 et 1838 notamment. Il ne fait
aucun doute que Liszt appréciait Victor Hugo, qui le lui rendait bien, d’ailleurs.
Le journal personnel de Mme Boissier, mère d'une des élèves parisiennes du
célèbre pianiste, la future comtesse de Gasparin, nous est à ce sujet d'un
précieux secours. On y lit par exemple que Liszt voulait "mettre la révolution
dans tout" (Xe leçon) ; que pour que son élève fût à même
de bien jouer une étude de Moscheles, il lui conseillait la lecture de Jenny de Victor Hugo. C'est de ses périodes
parisiennes que datent plusieurs "lieder" (qui gagneraient à être
mieux connus) écrits sur des poèmes de Hugo, et dont le plus justement célèbre
est sans doute : "Oh ! quand je dors".
[Proposition d’illustration : "Oh ! quand je dors
!" ; "Comment disaient-ils ?". Et "Guitare" de Bizet,
pour la comparaison, vu qu'il s'agit du même texte] [8]
Plus
tard Liszt, comprenant comme Saint-Saëns que l'œuvre de Victor Hugo exigeait
plutôt des développements symphoniques, composera son célèbre poème symphonique
Mazeppa - sur lequel nous reviendrons
- d'après un poème des Orientales,
mais aussi "Ce qu'on entend sur la montagne", d'après un poème des Feuilles d'automne.
Wagner
confirme, dans le dénigrement, une certaine "parenté" entre les deux
créateurs. En effet, si dans sa correspondance avec Liszt nous lisons des
compliments souvent enthousiastes au sujet des œuvres de son aîné - on sait
combien il doit à son beau-père ! -, Wagner révèle un autre visage dans une
lettre à Mathilde Doesendonk :
J'ai vu la nouvelle école française, Victor Hugo en tête, et je ne veux pas nier qu'une bonne partie de la musique de Liszt m'est encore antipathique car j'y retrouve la même manière.
S'il convient
de ménager une place à part à Franz Liszt pour ce qui est de l'"illustration"
ou de la "transposition musicale" des poèmes de Hugo, il ne faudrait
pas oublier César Franck qui, en 1846, donne un Ruth et Booz avant d'illustrer dix-huit
ans plus tard, en une pittoresque composition pour piano et orchestre, le
poème les Djinns [9].
Gabriel Fauré a conçu pour le même texte une partition pour chœur et orchestre
ou accompagnement de piano.
Le théâtre
de Victor Hugo saura, lui aussi, stimuler l'imagination des musiciens contemporains.
Parmi les très nombreuses adaptations [10],
on retiendra Lucrèce de Donizetti
sur un livret de Romani, d'après Lucrèce
Borgia, et bien sûr Rigoletto
(1851) de Verdi, d'après le Roi s'amuse.
Ce dernier opéra ne semble pas avoir eu les faveurs du poète. Il fut en effet
redonné à Paris en 1857 (et en 1863 dans une traduction française), alors
que la pièce qui l'avait inspiré était interdite à l'affiche ! On peut comprendre,
dans un tel contexte, le fameux "qu'ils crèvent !", mentionné supra, adressé aux musiciens, mais ce n'est
pas la musique proprement dite qui se trouve alors incriminée.
Un dernier
opéra - il faut se limiter -, créé lui aussi du vivant du poète, mérite de
retenir notre attention. Il s'agit d'Angelo,
dû à l'un des "cinq" de l'Ecole russe, César Cui. On s'accorde à
reconnaître en cet opéra qui date de 1876 le meilleur ouvrage du compositeur
(Angelo de Hugo est de 1835)
[11].
Il faut
savoir enfin qu'au lendemain de la publication de Notre-Dame de Paris, deux musiciens au moins, Meyerbeer et Berlioz,
avaient proposé au romancier de tirer de son roman la matière d'un opéra.
Hugo avait refusé, faute, sans doute, d'avoir alors le temps d'écrire un livret.
Finalement sur les instances de Louise Bertin (fille du fameux Bertin peint
par Ingres, alors directeur du Journal
des Débats), musicienne et amie de Léopoldine, il se met au travail, dégage
quelques scènes, mais ne poursuit sa rédaction qu'avec peine et même quelque
répugnance. Le livret est finalement achevé près de cinq ans plus tard et
la musique donnée le 14 novembre 1836. L'œuvre aura un succès modéré qui nécessitera
des remaniements et terminera sa courte carrière à la huitième représentation
(certains disent la sixième), copieusement sifflée. De cette partition La
Esmeralda, possiblement retouchée par Berlioz (bien que ce dernier s'en
soit toujours défendu [12]) Liszt a tiré
pour le piano une réduction comme il avait eu l'occasion de le faire peu de
temps auparavant pour la Symphonie fantastique.
[Proposition d’illustration : A défaut de
l'audition de La Esmeralda, audition
d'un extrait de la Symphonie fantastique
de Berlioz dans la réduction pour piano qu'en a faite Liszt (après un court
extrait de la version orchestrale) : 4e mouvement, "La marche
au supplice"]
Il se
trouve qu'une version de concert de La
Esmeralda a été donnée au cours de l'année du centenaire de la mort de
Hugo à Radio France à Paris [13].
Cette manifestation est venue s'ajouter aux autres, nombreuses, qui, en 1985
devaient rendre hommage musicalement à Hugo [14].
Parmi les œuvres suscitées dans le dernier quart du XXe siècle,
nous citerons encore Un contre tous,
théâtre musical d'Ivo Malec (Avignon, 1971) ; Quatre-vingt-treize, opéra de V. Belov (Leningrad, 1973) ; Dieu, "action de voix et de gestes
d'après V. Hugo" de Pierre Henry (Lille, 1977), et dont nous reparlerons
; les Voix de l'au-delà, texte présenté
et mis en musique par M. Kelkel d'après les procès verbaux des séances de
spiritisme de Jersey (Metz, 1980) ; et, bien sûr, Hugo-symphonie de Pierre Henry (Paris, 1985).
Victor
Hugo aurait-il applaudi a tout cela ? Peut-être. Toutes ces illustrations
témoignent en tout cas de l'intérêt des musiciens pour une œuvre gigantesque
qui n'a pas fini de nous interpeller.
IV. "La musique,
c'est du bruit qui pense"
Il paraît
intéressant, à ce point de l'exposé, de tenter une esquisse des goûts musicaux
de Victor Hugo en s'appuyant sur son œuvre, sa correspondance, ses carnets
et les témoignages les plus dignes de foi qui nous sont parvenus
[15].
Il semble
que ce soit vers 1825 que quelqu'un (dont on a oublié le nom) a cru découvrir,
au terme de je ne sais quelle investigation, que Victor Hugo était insensible
à la musique. Et cet axiome d'être répété de bouche à oreille, transformé
en une sorte de théorème vaguement démontré au moyen de quelques boutades
prétendument échappées au poète. Il s’avère que Victor Hugo connaissait beaucoup
plus de musique qu'on ne croit. Et même s'il eut des ignorances, son instinct
le guidait vers les valeurs les plus sûres de son époque et de l'histoire
de la musique. Il ne faudrait pas lui chercher de mauvaises querelles même
si le titre d'un de ses célèbres poèmes affirme que "la musique date
du XVIe siècle" (les Rayons et les Ombres, XXXV) [accès
au poème]. De nombreuses allusions aux musiques de l'Antiquité
et du Moyen Age prouvent assez que Hugo ne prenait pas Palestrina pour le
père de la musique. Gautier dira bien, lui aussi, que "quoique vieille
comme la Création, la musique ne date guère pour nous que du XVIe
siècle". C'est en partie vrai. Au-delà de ce qu'on pourrait appeler,
avec Arnaud Laster, l'"amplification oratoire" il nous faut voir
une admiration authentique du poète pour le compositeur, et qui semble passer
par une émotion musicale vécue. On sait, en effet, que Victor Hugo fut le
témoin attentif de concerts "historiques" organisés par le musicologue
belge Fétis dans les années 1840 et qui mêlaient, dans un même programme,
Josquin des Prés, Goudimel, Janequin... Palestrina.
[Proposition d’illustration : une pièce vocale de
Palestrina : "Nunc Dimitis" par les Tallis Scholars en concert]
Son goût
indiscutable pour les musiques purement vocales autorise le poète à porter
aux nues à plusieurs reprises, le Stabat
Mater de Pergolèse (Les Contemplations,
livre VI, XXIII, notamment) auquel il compare, un soir de décembre 1870, celui
de Rossini qu'il vient d'entendre et qu'il juge inférieur
[16].
[Proposition d’illustration : extrait des deux œuvres
citées, le tout début]
Dans
une page rare de critique musicale (le poète a dix-huit ans), on apprend qu'il
est - très tôt donc - un partisan résolu des "Modernes", préférant
Salieri et Spontini à Lulli qu'il qualifie de "psalmodiste monotone".
L'hostilité envers Lulli ne cessera d'ailleurs de croître, dans la mesure,
surtout, où il est associé au siècle de Louis XIV qui, selon Hugo, prive
l'artiste de sa liberté d'inspiration.
Mozart,
quant à lui, est admiré avec réserve dans la mesure où, confiera un jour le
poète, "il y a un peu trop de Louis XVI dans Mozart". Hugo ne semble
pas lui pardonner ses concessions à la "galanterie". Il reste
pourtant ce génie lumineux que tout le XIXe siècle admire, cette
"source" comme l'écrit Hugo qui assiste, en 1829, à une
représentation de La Flûte enchantée,
connaît des airs isolés du Don Giovanni
et du Cosi Fan Tutte (cf. les
réductions pour piano que sa fille Adèle avait mis à son répertoire assez
éclectique).
Mais si
"Mozart est une source", "Gluck est une forêt" (Les Voix intérieures, XIX) où le poète
aime à se perdre (image sylvestre probablement suggérée par le bois sombre sur
lequel le rideau se lève au premier acte d'Orphée).
On a de bonnes raisons de croire qu'il en a entendu Orphée, Alceste et Armide, l'ouverture d'Iphigénie en Aulide, donnée en 1837. Il
semble particulièrement attaché à Armide.
Dans une lettre à Louise Bertin du 22 mai 1835, on relève un tableau touchant :
Hugo ne commence-t-il pas à "exécuter avec un seul doigt [sic] d'une manière satisfaisante
‘Jamais dans ces beaux lieux’" (qui est, précisément, un des plus beaux
airs de l'opéra cité) grâce aux "leçons de piano" que lui donnent
"Didine (sa fille) et Liszt" !
Mais il
ne faudrait pas oublier la musique italienne, "belle" quand la
musique allemande peut être "sublime". Arnaud Laster, dans l’article
déjà cité qu'il consacre à "Victor Hugo, la musique et les
musiciens", donne une idée du bain de musique italienne dans lequel le
poète est plongé, mais aussi de son assiduité aux concerts, dans les années
1846-1847. Des extraits d'opéras de Donizetti, Bellini, Rossini y sont
entendus. Hugo sacrifie peut-être à la mode. La musique de son temps qu'il aime
surtout, c'est bien naturellement la musique des romantiques.
Victor
Hugo ira, bien sûr, applaudir "la grande musique de Weber", "Le Freischütz avec ses spectres"
qui pouvait lui plaire, certes, comme à toute la jeune génération des artistes
du temps. A l'occasion d'une des répétitions d'Euryanthe, en 1831, il rencontre Paganini qui lui laissera un
souvenir impérissable. "C'est par lui, dira-t-il vingt ans plus tard, que
la musique m'a été révélée." Euryanthe
ne l'en marque pas moins puisqu'il introduira dans une première ébauche des Misérables le chœur des "chasseurs
égarés dans les bois" :
Cosette s'était mise à chanter, en s'accompagnant, le chœur d'Euryanthe :
"Chasseurs égarés dans les bois", qui est peut être ce qu'il y
a de plus beau dans toute la musique.
Voir
aussi :
... ce sombre et prodigieux chœur de Weber qui ouvre devant l'esprit des
profondeurs effarées, qui tremble au regard comme une forêt vertigineuse et où
l'on entend le craquement des branches mortes sou le pas inquiets des chasseurs
entrevus dans le crépuscule.
(Les Misérables, 4°, V, 2 et VIII, 6)
[Proposition d’illustration : audition du chœur en
question (IIIe acte d'Euryanthe)
et du chœur des chasseurs du Freischütz
applaudi par Hugo et toute la génération romantique [17]
(cf. La Revue musicale, n° 378,
p. 9)].
On peut
encore parler du goût de Hugo pour Schubert, très rarement cité par nos
écrivains romantiques ; pour Berlioz avec lequel il entretenait des relations
extrêmement cordiales ; pour Liszt, bien sûr - faut-il le rappeler ? -,
qui aimait à jouer Le Roi des Aulnes,
"chef-d'œuvre" de la "Liedermusik", et aux côtés duquel il
découvrira la Symphonie fantastique,
le 9 décembre 1832.
[Proposition d’illustration : Le Roi des Aulnes dans la transcription pour piano de Liszt]
Mais le
"phare" incontestable, le plus grand musicien pour Hugo, c'est Beethoven.
L'auteur de Fidelio qu'il fait découvrir
à Lamartine en 1829 ; mais aussi et surtout celui des symphonies. N'en soyons
pas surpris. Jean et Brigitte Massin rapportent, dans leur Beethoven
(p. 384), ces propos du poète : "C'est la symphonie où je suis dans mon
élément à moi. Quand j'entends quelque chose en moi, c'est toujours le grand
orchestre." Voir aussi les très belles pages inédites jusqu'en 1914 (Annales du 15 mars) retranscrites dans La Revue musicale, n° 378, p. 62 [accès
au texte]. Il est, par ailleurs, loisible de voir dans la deuxième
partie de "Que la musique date du seizième siècle" une sorte de
transposition de la Pastorale, tant
aimée de Victor Hugo, du moins des trois derniers mouvements [accès
au texte]. Il est indéniable que le poète s'assimilera souvent,
plus ou moins consciemment, au grand musicien qu'est Beethoven. Ils appartiennent
tous les deux à la même famille de créateurs, il est normal qu'ils se rejoignent.
Lorsque Hugo donne ce qu'on pourrait appeler sa définition de la musique dans
le Tas de pierres : "La musique,
c'est du bruit qui pense", nul doute qu'il songe à Beethoven et probablement
aussi à son ami Franz Liszt.
[Proposition d’illustration : un passage de la Pastorale dans la transcription pour
piano de Liszt : n° 4, Gewitter
(sturm)]
V. De Mazeppa à Dieu
Revenons
justement à Franz Liszt pour la double illustration dont nous désirons faire
état maintenant, Franz Liszt et Pierre Henry. Nous passerons de l’un à l’autre,
dans un va et vient délibéré.
De Liszt parlons un peu d'abord à
cause de ses rapports privilégiés de contemporain et d'ami de Victor Hugo. La
première trace de leur rencontre semble remonter à 1827. Liszt a seize ans et
il a invité le poète à venir l'entendre chez le facteur de piano Erard. A
partir de cette date, et pendant plus de dix ans, le musicien compte parmi les
familiers de l'auteur des Orientales,
et c'est chez Hugo que de nombreuses personnalités de l'époque rencontrent le
virtuose et le découvrent. On connaît le fameux tableau de Joseph Danhauser, En souvenir de Liszt - tableau idéal,
certes -, représentant Dumas, Hugo, Sand, Paganini, Rossini et Marie d'Agoult
tous réunis autour du piano sur lequel joue Liszt, piano surmonté d'un buste de
Beethoven (cf. reproduction en noir et blanc p. 108 du Liszt de Claude Rostand ou dans Franz
Liszt par l'image de Zsigmond Laslo et Bela Mateka, p. 82).
[Accès
au "Baiser de Beethoven" au jeune Franz Liszt]
Il est
probable que Liszt a fait connaître à Victor Hugo plus d'un chef-d'œuvre de
Beethoven, notamment cet adagio en ut
dièse mineur de la quatorzième sonate, dite "Au clair de lune", qu'il
aimait tant et dont la composition, comme on l'a vu, est pratiquement
contemporaine de la naissance du poète ; les symphonies aussi, selon toute
vraisemblance, dans leur transcription pour le piano.
[Accès
aux symphonies de Beethoven - notamment dans la transcription de Franz Liszt :
fichiers MIDI]
Le
second compositeur retenu pour finir est Pierre Henry, notre contemporain, et
qui a sur Victor Hugo, lui aussi, à notre sens, un regard privilégié. Il
témoigne encore de la "résonance" de l'œuvre dans nos XXe
et XXIe siècles que Hugo annonce à plus d'un titre (je pense
notamment à son œuvre graphique sur laquelle nous reviendrons et dont je
montrerai quelques reproductions).
Cent
vingt six ans séparent les deux compositions musicales retenues et qu'il
convient maintenant de présenter. Malgré toutes leurs différences, elles
procèdent toutes deux d'une même assimilation, d'une même "digestion"
d'un texte poétique par deux musiciens. Chacun d'eux pourrait faire sienne, me
semble-t-il, cette déclaration que Beethoven fit un jour à Goethe :
Quand vos poèmes ont pénétré dans ma tête, cela a produit de la musique
et j'ai été assez orgueilleux pour vouloir m'élever aussi haut que vous.
La composition
de Mazeppa de Franz Liszt date de
1851. Cette œuvre est l’aboutissement d’une longue gestation sur laquelle
nous pourrons revenir. Il s'agit d'une composition symphonique qui se propose
d'illustrer un poème du même nom, daté de mai 1828 et extrait des Orientales de Victor Hugo
[18].
Mazeppa
est en premier lieu un personnage historique. Il est né à Kiev vers 1641 et
mort à Bendery en 1709. Hetman des cosaques, il gouverne l'Ukraine à partir de
1687. D'abord allié de Pierre le Grand, il se range en 1708 aux côtés des
Suédois, afin de défendre l'autonomie ukrainienne. Battu avec Charles XII à
Poltava (1709), il se réfugie à Bendery où il meurt.
Mazeppa
est aussi un personnage de légende. On raconte que, surpris en flagrant délit
d'adultère par un Polonais jaloux, il fut attaché nu sur un cheval sauvage qui
l'emporta jusqu'en Ukraine. Outre Victor Hugo, son histoire a inspiré Byron et
Pouchkine. Liszt en a fait un poème symphonique et Tchaïkovsky un opéra. Des
peintres ont également traité le thème, Horace Vernet, Géricault et surtout
Louis Boulanger auquel Hugo dédie son poème.
[Accès
à un tableau récapitulatif avec quelques liens]
Il est
à noter que Baudelaire, dans son Salon
de 1845, n'est pas très tendre vis-à-vis de Boulanger et de Hugo. Le ton de
l'article rappelle celui de Wagner cité plus haut :
Boulanger a donné une Sainte Famille
détestable ; les Bergers de Virgile,
médiocres [...]. Voilà les dernières ruines de l'ancien romantisme - voilà ce
que c'est de venir dans un temps où il est reçu de croire que l'inspiration
suffit et remplace le reste ; voilà l'abîme où mène la course désordonnée de
Mazeppa. - C'est M. Victor Hugo qui a perdu M. Boulanger - après en avoir perdu
tant d'autres . - C'est le poète qui a fait tomber le peintre dans la fosse. Et
pourtant M. Boulanger peint convenablement [...] ; mais où diable a-t-il pris
son brevet de peintre d'histoire et d'artiste inspiré ? Est-ce dans les préfaces
ou les Odes de son illustre ami ?
C'est
la première partie du poème "Mazeppa" de Hugo qui a retenu Liszt.
Toute la deuxième partie essentielle au propos du poète (parallélisme du couple
Mazeppa /cheval et du couple homme /génie), n'intéresse le musicien qu'au
second chef. S'il est aisé, dans le poème symphonique, de repérer l'évocation
du cheval et de la course effrénée dans la steppe, il est plus difficile de
relever celle des espaces désertiques, du vol circulaire des vautours. Liszt
sait les peindre pourtant. Il est sensible aussi aux trois dernières strophes
de la partie 1 qui nous montrent, après que le cheval est mort d'épuisement,
Mazeppa nu, misérable et qui se traîne jusqu'aux fanfares qui annoncent la
métamorphose du moribond (cf. le thème des trompettes, la danse de fête et la
conclusion triomphale de l'œuvre). On n'oubliera pas que Liszt est hongrois et
que le peuple magyar cherche à l'époque à affirmer son identité et à se libérer
du joug germanique, de même que les Ukrainiens, dont Mazeppa est le héros,
cherchent à le faire dès 1708 de celui des puissances qui convoitent leur
territoire. Mazeppa devient alors une sorte de héros nationaliste propre à
émouvoir les sensibilités romantiques d'un Hugo et d'un Liszt.
[Audition de différents extraits]
[Accès
au poème symphonique en version orchestrale : fichier MIDI].
Dieu, "action de voix, de sons et
de gestes" de Pierre Henry, est créé quant à lui en 1977, à Lille. Il
s'agit d'une adaptation d'un des poèmes les moins connus de Hugo, d'ailleurs
resté inachevé, Dieu.
Dieu, poème philosophique de quelque
huit mille vers, est commencé dès 1854 (l'année même de la création du Mazeppa de Liszt). Dans son exil à
Jersey, Hugo met la première main à ce qui aurait pu constituer le prélude de La Légende des siècles et dont La Fin de Satan eût été le dénouement.
Interrompu par la publication des Contemplations,
Dieu restera inachevé. Ce long poème
est une quête de Dieu, qui s'achève (temporairement dans l'esprit de Hugo) sur
une grande incertitude. C'est une épopée, celle d'une humanité en marche vers
l'idéal, toute pleine de visions bibliques et fantastiques, et tout imprégnée
d'occultisme.
Dieu de Pierre Henry (précisons qu'il s'agit
d'une sorte de spectacle total avec récitant-clown-acrobate) n'est pas à écouter
d'une oreille ordinaire. Il convient d'écouter les extraits retenus dans le
disque [19]
avec notre peau, avec nos états d'âme, avec nos souvenirs. Ecoutons-les avec
nos songes. Il conviendra aussi de se référer au texte inspirateur, soit avant,
soit après, soit pendant. L'on peut, en effet, découvrir le poème alors que
se déroule la musique qui est née de lui. On peut encore s'emparer de lui
et le déclamer sur le fond musical ; ainsi serait retrouvé l'esprit du spectacle
imaginé par Pierre Henry avec le complicité inspirée de Jean-Paul Farré.
[Illustration : extrait de Dieu : "l'Humanité"]
Outre
l'amitié qui a pu les unir, il existe entre Victor Hugo et Franz Liszt une
grande parenté en matière de création. Le temps nous manque ici pour dresser
un tableau comparatif de leur évolution. Retenons toutefois que Hugo naît
neuf années avant Liszt et que Liszt meurt un an après Hugo. Tous deux traversent
magistralement leur siècle en le marquant de leur art novateur. L'un, par
ses audaces verbales, ouvre des voies nouvelles à la poésie, utilise, avant
les cubistes, découpages et collages ; tire parti, avant les surréalistes,
des éclaboussures et accidents embryonnaires de la tache et du dessin automatique.
L'autre révolutionne l'art musical du XIXe siècle par sa richesse
d'invention qui fait éclater les cadres (cf. la Sonate en si) et bouscule l'harmonie, par son perpétuel "questionnement"
du langage musical qui le conduit à l'atonalité (cf. la Bagatelle
sans tonalité retrouvée en 1958 dans ses papiers [20]).
[Accès
au fac-simile d’une des pièces ultimes de Liszt : Bagatelle
sans tonalité]
[Accès
à quelques dessins et aquarelles de Hugo]
Pierre
Henry, de son côté, gourmand de beaux et de gros sons, d'idées vastes et
joyeuses, gourmand de mythes antiques et de symboles ésotériques, gourmand de
lyrisme, de poésie, de prière, l'homme qui a su engranger quelque cinquante
mille sons inouïs dans une fabuleuse et labyrinthique sonothèque, n'est pas si
éloigné de ce trouveur et arrangeur de mots qu'est Hugo. Baudelaire ne s'y
trompe d'ailleurs pas lorsque, parlant de Victor Hugo, il écrit :
Je vois dans la Bible un prophète à qui Dieu ordonne de manger un livre. J'ignore dans quel monde Victor Hugo a mangé préalablement le dictionnaire de la langue qu'il était appelé à parler ; mais je vois que le lexique français, en sortant de sa bouche, est devenu un monde.
Victor
Hugo et Pierre Henry sont tous deux hantés par les mots, les sons, tous deux
hantés par Dieu. Le second semble, en outre, hanté par le premier si l'on
en juge par sa Hugo-symphonie donnée
à Paris à l'occasion du centenaire de la mort du poète et qui rappelle par
son titre, la Dante-symphonie de
Liszt, créée cinq ans après Mazeppa.
Voilà qui peut réunir encore trois grands créateurs, trois artistes hantés
tous par Beethoven, plus ou moins consciemment. Tout à fait consciemment,
en tout cas, pour Pierre Henry auteur d'une Dixième
symphonie de Beethoven qui précède la Hugo-symphonie
de quelques années, Pierre Henry qui rend hommage à son maître en isolant
et combinant divers accords, arpèges, cellules (motifs, transitions, trilles,
etc. ) et citations, tous empruntés aux neuf symphonies réellement écrites
par Beethoven. On se reportera utilement au livret accompagnant le disque
[21]. C'est cette même démarche de
"déconstruction" et de "reconstruction" que Pierre Henry
adopte pour sa Hugo-symphonie. (cf.
bibliographie pour articles d'hebdomadaires et périodiques).
[Illustration : un extrait de la Dixième symphonie de Beethoven-Pierre Henry : Fantaisie II, 4e mouvement]
Et comme si cela n’était pas assez, on
citera encore – ce qui ne fait que renforcer les liens entre nos trois compositeurs !
– le Concerto sans orchestre pour
piano acoustique et bande magnétique imaginé tout récemment par Henry autour
de l’œuvre de… Liszt. Voir notamment l’article de Télérama du 9 août 2000 (n° 2639), p. 33-34.
L’œuvre a été créée par Nicholas Angelich (piano) et le maître en personne
(pour la spatialisation), le 13 août au festival de la Roque-d’Anthéron. [Lire une
critique]
§
HOVASSE
Jean Marc, Victor Hugo : Avant
l’exil, 1802-1851, Tome 1, Paris, Fayard, 2001.
§
HUGO
Victor, Œuvres complètes, Paris, Le
Seuil, collection "l'Intégrale", 1972.
§
La Revue musicale, numéro spécial "Victor Hugo et
la musique", septembre 1935 (cf. aussi le n° 378 paru en 1985, réédition
enrichie de la revue de septembre 1935, à l'occasion du centenaire de la mort
du poète).
§
LASTER
Arnaud, "Victor Hugo, la musique et les musiciens" in Œuvres complètes de Victor Hugo, édition
publiée sous la direction de Jean Massin, Club français du livre, tome V,
1967-1971 (18 volumes). Egalement auteur d’un Pleins feux sur Victor Hugo (malheureusement épuisé) édité par la
Comédie française.
§
PICON
Gaétan, "Le soleil d’encre", en préface à l’ouvrage : Victor Hugo. Dessins, Paris, Éditions
Gallimard, 1985. Pour les dessins de Victor Hugo, voir aussi : Du chaos dans le pinceau, catalogue
d’exposition 2000-2001, Paris-Musées, 2000.
§
WAGNER
Richard, Sur les poèmes symphoniques de
Franz Liszt, lettre à M. B. (traduit de l'allemand par M. D. Calvocoressi)
Paris, Editions Coberg / Tours, Librairie Ars Musicae (réédition de l'édition
de Paris, Fischbacher), 1904.
[…]
N.B. On lira en outre avec profit, dans maints numéros
du Monde de la musique, des articles
consacrés à Hugo, à Pierre Henry et aux œuvres que nous avons évoquées. Voir
notamment le numéro 4 (octobre 1978), le numéro 17, (novembre 1979), le numéro
84 (décembre 1985). On lira dans le numéro 22 (avril 1980) une "interview
imaginaire" de Victor Hugo, qui constitue une bonne synthèse. Voir encore
des articles parus dans le Monde du 9
décembre 1977, le Point du 9 décembre
1985 (n° 690) et le Magazine littéraire
n° 214 de janvier 1985, Télérama n°
2639, août 2000. Sans préjuger de tous les articles et études à paraître
(notamment un numéro de L’Avant-scène
Opéra consacré à Victor Hugo et l’opéra, dont la sortie est prévue pour mai
2002) à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, et qui
seront légion.
© Pascal Bergerault (février 2002)
-------------------
[1]
Je
pense, bien sûr, à celle d’Arnaud Laster pour le tome V de l’édition des Œuvres
complètes de Victor Hugo, sous
la direction de Jean Massin, Club français du livre, 1967-1971 (18 volumes).
Voir encore le numéro spécial de La
Revue Musicale "Victor Hugo et la musique" de 1935 (réédité
et enrichi en mai 1985).
[2] Dossier "Hugo" dans le n° 48 de Phosphore, janvier 1985.
[3] Le vers et le poème,
du vers au poème : l'évolution des formes et du langage, Nathan-Université, 1984,
p. 38-41.
[4] Collection "Perspectives et confrontations",
Hachette, 1986.
[5] Formule traditionnellement attribuée à Victor Hugo et
sujette à bien des variantes ("Le long de", "au bas de",
"sur mes vers"). Selon José Bruyr (La
Revue musicale, n° 378, p. 82), c'est à Escudier, éditeur de Rigoletto, que Hugo aurait écrit : "Défense, défense absolue
de déposer de la musique le long de mes vers". D'après Marcel Beaufils
(Musique du son, musique du verbe, PUF,
1954, p. 81), la formule serait en réalité le fait de Leconte de Lisle !
[6] Autre son de cloche dans un article de Julien Tiersot
(La Revue musicale, n° 378) : "Rappelons-nous
la mauvaise humeur de Lamartine lorsqu'on lui chantait le Lac. Il est vrai que c'était sur une
musique de Niedermeyer, et cela même était une raison. ‘J'ai toujours pensé
que la musique et la poésie se nuisaient en s'associant, disait-il. Elles
sont l'une et l'autre des arts complets. La musique porte en elle son sentiment
; les beaux vers portent en eux leur mélodie’".
[7] On pourrait encore citer : Gounod, Bizet, Lalo, Delibes,
Franck, Fauré, Wagner… et, bien sûr, Berlioz, rencontré et admiré.
[8] On pourra encore écouter : "la Tombe et la rose",
"S'il est un charmant gazon", "Enfant ! si j'étais roi",
"Gastibelza"...
[9] On lui doit aussi, avant Liszt, un poème symphonique sur
"Ce qu'on entend sur la montagne". Il serait intéressant de comparer
les deux adaptations.
[10] Jusqu’à nos jours, pas moins de 9 Marie
Tudor, 18 Notre Dame de Paris,
9 Ruy Blas…
[11] A propos d’Angelo
et de sa postérité à l’opéra, on pourra lira en ligne une communication d’Arnaud
Laster [cliquer
ici].
[12] Cf. La Revue musicale
n° 378, p. 49. Extrait
d’une lettre de Berlioz à sa sœur, datée du 22 décembre 1836 : "La cabale n’a pas voulu laisser à Melle
Bertin l’honneur d’être l’auteur de cet air et l’on s’obstine, malgré toutes
mes dénégations, à me l’attribuer. Ce morceau est vraiment une invention musicale des plus remarquables.
Mais, à la première représentation, Alexandre Dumas, qui n’aime pas les Bertin,
se mit à crier, de toute la force de ses poumons mulâtres : ‘C’est du
Berlioz ! C’est du Berlioz ! Voilà la justice !…’ Si j’ai contribué
à l’effet de cet air, c’est pour bien peu de choses ; il est réellement
bien de Melle Bertin ; mais (entre nous) il finissait mal, c’est-à-dire
il finissait de manière à empêcher l’effet des belles choses qu’il contient ;
ma collaboration s’est bornée à indiquer à l’auteur une péroraison plus digne
de l’exorde ; c’est tout, et je ne l’ai jamais avoué à personne.
"
[13] Une
autre sera donnée à Besançon le mardi 19 février à l'Opéra-Théâtre. La Esmeralda, livret de Victor Hugo, musique
de Louise Bertin, sera représentée dans la version pour piano et chant de
Liszt, sous la direction de Françoise Tillard, dans une mise en scène de Jacques
Connort. Cette œuvre n'a été représentée intégralement que six fois, en 1836.
La misogynie y fut sans doute pour
beaucoup : pouvait-on facilement admettre au XIXe siècle qu'une
femme pût avoir un quelconque talent en matière de composition ?
[14] A
l’heure où j’écris ces lignes, il est encore trop tôt pour faire l’inventaire
des manifestations musicales prévues pour célébrer le bicentenaire. Le lecteur
gagnera à interroger sur Internet les moteurs de recherche.
[15] Rappelons l’excellent travail réalisé à ce propos par Arnaud Laster à
l’occasion de l’édition monumentale de l’œuvre de Hugo par Jean Massin (cf.
note 1 et bibliographie), travail auquel nous empruntons quelques informations,
en les enrichissant, le cas échéant.
[16]
Carnet, 15 décembre
1870 : "J’aime mieux
celui de Pergolèse" (mentionné par
Arnaud Laster, Op. cit.)
[17] Si Nerval ne cache pas son admiration pour Weber dans
sa "Fantaisie" ("Il est un air pour qui je donnerai…",
Baudelaire saura, lui aussi, s’en souvenir à maintes reprises, notamment dans
l’avant dernière strophe de ses "Phares" : "Un appel de chasseurs
perdus dans les grands bois !",
qui renvoie, indubitablement au célèbre opéra.
[18] La version symphonique de Mazeppa,
dont les origines se situent dans la quatrième des Etudes d'exécution transcendante pour piano (en ré mineur) - elle-même
résultat de toute une gestation -, constitue le sixième des treize Poèmes symphoniques composés par Liszt.
L'œuvre fut créée à Weimar, sous la direction du compositeur, le 16 avril
1854. Rappelons au passage que le premier des "Poèmes", intitulé
"Ce qu'on entend sur la montagne", est également inspiré par la
poésie de Victor Hugo (Les Feuilles
d'automne, V).
[19] Disque Philips 6510 019 (année 1978)
[20] Voici
le commentaire qu’en a fait Antoine Goléa : "C’est dans cette pièce que Liszt est allé le plus loin dans le domaine
des innovations révolutionnaires. Aucune ligne mélodique, aucun enchaînement
d’accords ne peuvent être inclus dans le système de tonalités majeures ou
mineures. Cette œuvre se crée dans son propre devenir, ses propres lois d’écriture"
[21] Disque compact Philips
420 636-2 (année 1988). Œuvre remixée par le compositeur pour le festival
de Montreux 1998 (réf. Philips 462 821-2).